Histoire
Les Morisques : chronologie d’une assimilation forcée
C’est l’histoire malheureuse d’un groupe de croyants, d’un peuple étranger sur son propre territoire, qui n’a pas voulu céder pour échapper aux persécutions des catholiques en Espagne après la chute de l’Andalousie musulmane. C’est la fin d’une coexistence établie depuis des siècles au nom de la Loi islamique entre les différentes confessions présentes sur ce territoire.
Ce fût le 25 novembre 1491 lorsque Boabdil (Muhammad XII) dernier roi de la dynastie Nasride (Banû Al-Ahmar), signa un accord qui marque la fin de son règne sur l’Emirat de Grenade. Cependant, bien que vaincu, il défendit les droits pour ces concitoyens musulmans de l’ex-Andalousie de conserver leur foi et leurs coutumes islamiques sur ce territoire. Cet accord a été abrogé par les rois catholiques d’Espagne dès leur accès au pouvoir.
Au départ, des méthodes douces furent employées pour convertir les musulmans au catholicisme. Cette mission fut conduite par l’archevêque de Grenade Hernando de Talavera. Mais très vite, des édits de conversion au catholicisme suivent l’abrogation des accords de 1492.
Ainsi, en 1502, les rois catholiques Isabelle et Fernando interdisent officiellement l’Islam sur tout le territoire espagnol. Trois années auparavant, en 1499, des tribunaux d’inquisition furent instaurés à Grenade et dans la même année, le Cardinal Fransisco Jiménez de Cisneros ordonne la fermeture des mosquées. La conversion collective des Morisques commença.
En décembre 1499, une révolte est déclenchée dans le quartier d’Albaicin à Grenade pour protester contre la campagne de conversion forcée des musulmans. Cette révolte s’étend à plusieurs endroits montagneux de Grenade et se poursuit durant toute l’année 1500. L’an 1501 fût marqué par l’appel lancée par la reine Isabelle sous les conseils du Cardinal De Cisneros, aux musulmans Morisques à se convertir au catholicisme ou s’exiler sous un délai de 3 mois. Mais échapper à la conversion par l’exil a un prix. Des impôts draconiens furent imposés à ceux qui voulaient partir ainsi que l’abandon de leurs enfants. De plus, des forces armées furent dépêchées sur les côtes pour dissuader les Morisques de partir. Des conditions tellement sévères que beaucoup ont choisi de se convertir.
Le 12 octobre 1501, des livres arabes furent brûlés sous les ordres des rois à Grenade. A partir de l’an 1510, l’interdiction de tout ce qui est musulman commence à s’appliquer : traditions (vêtements Morisques, mariages traditionnels, …), culte (voile, abattage rituel,…), culture (langue, livres…). Et dans le même temps, une campagne de conversion forcée fût dirigée contre les musulmans du Royaume de Valence.
En 1526, Charles Quint (V) donna l’ordre d’appliquer l’édit de «la conversion ou l’exil» à tous les royaumes d’Espagne. La même année, toutes les coutumes et traditions islamiques sont interdites. Cependant, ces conversions forcés ne laissent pas les Morisques indifférents. Plusieurs mouvements de rébellion éclatent à Benaguacil, dans les montagnes d’Achebdane et de la Muela de Cortes.
En 1567, un nouvel édit royal complémente celui en 1526 renforçant la lutte contre les traditions et coutumes Morisques visant à faire perdre à ce peuple son identité culturelle : interdiction du voile, interdiction de la langue arabe et destruction des écrits arabes. Les Morisques continuèrent malgré tout à employer leur langue, qui rappelle leurs racines et leur religion ! Ils continuent de se converser entre eux avec la langue de leurs ancêtres, et écrire des livres en utilisant l’alphabet latin et en gardant la phonétique arabe. Une autre langue (Aljamiado) fut inventée pour contourner ces interdictions. Des fatwas furent émises de la part de théologiens d’Afrique du Nord notamment ceux du Maroc, à leur demande, des questions qui concernaient leurs pratiques : la prière, l’aumône, la lecture du Coran, … Les Ecclésiastiques surveillaient et espionnaient les Morisques jusque dans leurs maisons ! Ils demandaient même aux enfants de dénoncer leurs parents s’ils priaient ou pratiquaient leur religion ! Ainsi, ils ne pouvaient prier que par de signes, ne pouvaient se purifier qu’en se baignant dans la mer, ne pouvaient s’acquitter de l’aumône obligatoire que sous forme de don pour les pauvres…
Le 4 mars 1609, le Conseil d’Etat dont l’homme fort est le Valido (favori) du roi, le duc de Lerma, approuve le projet d’expulsion des Morisques, discuté depuis les années 1580. Le décret d’expulsion des Morisques du royaume de Valence est publié sur place, à Valence, le 22 septembre 1609. Préparé par des mouvements de troupes, ce décret s’applique avec rapidité et intransigeance. Plusieurs révoltes éclatent en réponse à cette injustice flagrante. Les autorités répriment sévèrement les soulèvements. Le 10 décembre, un décret royal pour l’expulsion des Morisques de Murcie est publié. La déportation du peuple Morisque prend fin officiellement en 1614. Ils trouvèrent refuge principalement en Afrique du Nord, une petite minorité au Moyen-Orient ainsi qu’en France.
Ce fût l’épreuve d’un peuple oublié que les catholiques ont épurés ethniquement, religieusement et culturellement. Mais, qui n’ont cessé de résister tout au long de cette période à l’oppression et la persécution ! Ils ont résisté à l’assimilation et lutté contre les lois anti-musulmanes, malgré leur faiblesse et la force de leur ennemi.
400 ans après, les musulmans sont de retour en Espagne. Des mosquées se construisent et des communautés s’installent. Mieux, des descendants des Morisques décident de se reconvertir à la foi de leurs ancêtres musulmans. En 2003, a été inauguré la première mosquée de Grenade depuis l’expulsion des musulmans en 1492. Certains journaux avaient même titré “La «reconquista» des musulmans à Grenade” pour parler de cet événement historique. La mosquée située dans le quartier Morisque de l’Albaicin fait face au monument le plus célèbre d’Espagne, AlHambra. Tout aussi symbolique, le projet de construction de cette belle bâtisse a été porté par des musulmans espagnols (de souche). L’appel à la prière peut à nouveau résonner sur les hauteurs d’Albaicin.
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La Rédaction
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