Points de vue
Kadhafi, “c’était mieux avant” ?
Chaque triste nouvelle qui nous arrive de la Libye post-2011 est l’occasion, pour beaucoup, de se remémorer avec nostalgie “l’ordre” kadhafiste et de vanter les mérites de ce “grand résistant anti-impérialiste”. Il apparaît donc nécessaire de revenir sur le règne d’un homme qui ne fut, au-delà de ses déclarations tapageuses et autres provocations internationales rarement suivies d’effet, qu’une succession ininterrompue de faits divers sordides… Et de rappeler, par une liste bien évidemment non exhaustive de ses crimes, que non, ce n’était pas “mieux avant”.
En bon tyran qui se respecte, Kadhafi ne fut évidemment pas tendre avec ses opposants, qu’ils soient communistes ou, surtout, islamistes. Mais ce qui fit sa spécificité fut la cruauté avec laquelle il mit en place son impitoyable appareil de répression : pendaisons publiques pratiquées sur les paniers de basket des écoles, devant les élèves et retransmises en direct sur la télévision d’État libyenne, tortures sadiques à la limite de l’entendement, mais aussi cadavres conservés pendant trois décennies dans les chambres froides du régime pour, jusque dans la mort, priver du repos ses opposants. Les officiers et soldats soupçonnés d’avoir participé à des tentatives de coup d’État contre le “Guide” bénéficient, eux, d’un traitement spécial : “On leur tailladait les genoux avec des lames de rasoir puis on leur mettait du sel sur les plaies. Les bourreaux leur ont arraché ongles et dents. Ils ont été torturés avec des tiges de fer chauffées à blanc. C’était insoutenable.”
Le massacre de la prison d’Abû Salim, connue pour abriter essentiellement les militants islamistes, marque “l’apothéose” de cette saga criminelle en 1996 : après une mutinerie des détenus liée à l’aggravation de leurs conditions de détention, “le lendemain matin à l’aube, de hauts dignitaires arrivent accompagnés de 400 à 500 soldats et prennent position sur les toits. Ils font sortir tous les prisonniers qui s’étaient mutinés dans la cour. Un responsable jette une grenade. C’est le signal. La tuerie dure près de trois heures. 1269 personnes sont tuées au cours de ces deux journées. Les cadavres des victimes sont jetés dans une fosse commune.”
L’esclavage, Kadhafi le pratiqua également à une échelle industrielle, mais d’un tout autre type : sexuel. Prédateur à en faire pâlir d’envie les Weinstein et co, il gouvernait, humiliait, asservissait et sanctionnait par le sexe, une politique symbolisée par ses fameuses Amazones, fausses gardes d’élite et véritables esclaves sexuelles qui ont tant fait fantasmer en Occident. Le “Guide” ne s’en cachait même pas, déclarant dans un discours en 1981 sa volonté de “faire des femmes de ses opposants de ses esclaves”. La Libye devient un harem à ciel ouvert : pour humilier un chef de tribu à la loyauté jugée douteuse, Kadhafi prend sa femme ou sa fille. Les partisans du régime ne sont d’ailleurs pas non plus épargnés des tournées de ses rabatteuses dans les lycées, au point que beaucoup se marient en catimini pour éviter que le “Guide” ne vienne exercer son droit de “prima nocte”.
Girouette intégrale sur le plan international, passant du panarabisme de tendance nassérienne au panafricanisme avant de tenter de se placer cyniquement du côté de l’Occident lors de la “guerre contre le terrorisme” des années 2000 (cette dernière période étant par ailleurs pudiquement “oubliée” par ses partisans), Kadhafi ne se montrera pas plus capable de créer un État et des institutions stables : le chaos “anarchique autoritaire” qu’il instaurera en Libye sera peut-être son legs le plus dévastateur au pays, expliquant – bien plus que l’intervention sarkozyste – la situation actuelle.
La ‘révolution culturelle’ qu’il déclenche dans les années 70, avec la mise en place du “gouvernement des masses” (Jamahiriyya), lui permet en effet de contourner toute notion d’État de droit et de contrôler les affaires publiques dans le plus grand arbitraire. Ce vide constitutionnel, ou “désordre légal”, a pour conséquence de court-circuiter toute institution et tout contre-pouvoir : en verrouillant ainsi le système à son unique profit et en veillant à ne laisser aucune structure ou institution indépendante de lui sur pied, Kadhafi a ainsi gravement hypothéqué l’avenir de la Libye en empêchant toute possibilité de stabilité sans sa propre personne (ou celle de ses fils), comme le présent nous le montre cruellement…
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