Histoire
Abd al-Rahman III, le calife de Cordoue
Le 15 octobre 961 décédait le premier calife de Cordoue, le champion de l’orthodoxie sunnite dans l’Occident islamique et peut-être le plus grand homme d’État de l’histoire d’al-Andalus, sous lequel le pays connaîtra une puissance inédite. Roux, les yeux bleus, la peau claire de par sa mère espagnole et sa grand-mère basque, ‘Abd ar-Rahmân, orphelin très jeune, avait été élevé par son grand-père, l’émir omeyyade ‘Abd Allâh, avant de monter sur le trône à l’âge de 21 ans, en l’an 912. Croisés au Nord, chiites au Sud et rebelles aux quatre coins de ses terres : ‘Abd ar-Rahmân a fort à faire dès son accession au pouvoir.
Sa première tâche est d’unifier son royaume miné par les antagonismes ethniques ou régionaux, une mission à laquelle son grand-père a également consacré toute sa vie. Maniant habilement et alternativement la carotte – une politique de pardon pour ceux qui rendent les armes – et le bâton – des représailles terribles contre les rebelles -, ‘Abd ar-Rahmân parvient en quelques années à pacifier al-Andalus : en une décennie, tous les foyers de résistance à l’autorité centrale de Cordoue sont éradiqués et l’unité des musulmans est rétablie. Le jeune émir en profite pour mener une profonde réforme sociale qui déplaît à la noblesse arabe, jusqu’ici privilégiée, mais satisfait les muladis, ces autochtones d’ascendance hispano-romaine ou wisigothe convertis à l’islâm, majoritaires. Là est la clé de la paix et de l’union.
Car aux frontières Nord du dar al-islâm, les campagnes s’enchaînent contre des voisins croisés de plus en plus audacieux : les rois de Léon et de Navarre, que ‘Abd ar-Rahmân doit écraser à trois reprises suite à leurs incessants raids en terre musulmane. Il pille même la capitale des Navarrais, Pampelune, et ses succès inspirent une telle peur chez l’ennemi qu’à la simple annonce de l’arrivée de ses armées, les défenseurs chrétiens abandonnent leurs forteresses pour se réfugier dans les montagnes. Plus tard, un nouveau rival, le royaume de Castille, sera rapidement mis au pas et sa capitale Burgos, rasée. Les trois rois chrétiens finiront par reconnaître la suzeraineté omeyyade et verser tribut en échange de la paix.
Surtout, la grande œuvre de son règne sera l’instauration du califat de Cordoue. Depuis presque deux siècles qu’elle est installée en Europe, la dynastie omeyyade a en effet laissé le titre de calife aux Abbassides de Bagdad : mais face à la menace du mouvement chiite hérétique des Fatimides qui menace de submerger toute l’Afrique du Nord, ces derniers sont bien impuissants, tant par leur éloignement que par leur faiblesse politique. C’est ainsi que, le 16 janvier 929, ‘Abd ar-Rahmân se fait proclamer Commandeur des Croyants et Défenseur de la Foi, reprenant le titre de ses illustres ancêtres. Désormais armé de cette légitimité incontestable, il réunit les tribus sunnites berbères, en particulier les Banû Ifren et les Maghrawas, sous son autorité, renforce sa flotte et s’implante durablement au Maghreb (Tanger, Sebta). En quelques années, grâce à cette coalition tribale menée par le nouveau porte-étendard de la Sunna, les Fatimides sont temporairement repoussés.
Ses frontières Sud et Nord en paix, ‘Abd ar-Rahmân peut se consacrer à développer la prospérité de son califat : concentrant tous les pouvoirs et s’appuyant largement sur les saqalibah, ces esclaves d’origine slave convertis, pour son administration et son armée, il met sur la touche les nobles querelleurs qui avaient failli mener al-Andalus à la faillite et à la destruction. À sa mort, son trésor compte 20 millions de pièces d’or, trois fois plus que ses prédécesseurs, et le califat de Cordoue est sans conteste l’état le plus riche du monde. Sciences, arts, commerce, artisanat, agriculture y florissent sous l’aile bienveillante de ‘Abd ar-Rahmân, passionné d’architecture et de construction, un hobby auquel il consacre un tiers du budget de l’État : cet âge d’or est symbolisé par la construction de Madînat az-Zahrâ, une ville en l’honneur de son épouse sur laquelle 25.000 ouvriers travailleront pendant 10 ans. Sa capitale, Cordoue, compte un million d’habitants, jusqu’à 3000 mosquées, une gigantesque bibliothèque et d’innombrables bains publics ou autres édifices d’art. Centre intellectuel et culturel de toute l’Europe, grande rivale de Bagdad et Constantinople, elle reçoit des émissaires du monde entier.
Cette prospérité insolente n’empêchera pas ‘Abd ar-Rahmân de rester profondément attaché à l’islâm, comme il l’affirmera sur son lit de mort : “J’ai régné plus de 50 ans dans la victoire ou la paix, aimé de mes sujets, craint de mes ennemis, respecté de mes alliés. Les richesses et les honneurs, le pouvoir et les plaisirs ont tous répondu à mon appel, et aucun bienfait de ce bas-monde n’a manqué à ma félicité. Pourtant, j’ai compté avec diligence les jours où j’ai pu connaître un bonheur pur et sincère : ils ne sont qu’au nombre de 14. Ô homme, ne place pas ta confiance en ce bas-monde !”
Qu’Allâh lui fasse miséricorde !
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