Chroniques
De l’inquisition mu’tazilite
Le mu’tazilisme est un courant doctrinal, d’inspiration rationaliste, qui de par ses échappées hétérodoxes fit beaucoup de bruit, et d’emules, autour du 3ème siècle de l’hégire.
Pour se maintenir, les mu’tazilites avaient du se frotter au pouvoir avant de le gagner à l’époque du calife abbasside al Ma’mun, arrivé àlla tête de l’Etat islamique en 198H (813). Dominant dès lors le débat et occupant les plus postes d’Etat, les adeptes dudit courant continuaient cependant de trouver de farouches opposants parmis les adeptes de la tradition sunnite. C’est ainsi que les mu’tazilites vont réussir à convaincre les autorités de prendre les mesures nécessaires, ceci en mettant une véritable inquisition.
La Mihna, telle sera son nom. Mise en place un an avant qu’al Ma’mun ne meurt, en 218H (833), l’inquisition mu’tazilite va alors se donner comme mission de traquer les récalcitrants jusqu’au dernier. Les juges et imams sont contrôlés et sommés sous peine de réprimandes, de déclarer, entre autre, le Coran comme étant la parole crée d’Allah. Leur opposant le plus célèbre : l’imam Ahmed ibn Hanbal.
Emprisonné et soumis à la torture deux années durant, Ahmed aura résisté à tous les assauts possibles. Mais suscitant l’émoi des foules de Bagdad, largement acquises à l’imam et à ses vues, les autorités seront contraintes de le libérer.
Au travers d’une lutte acharnée contre tous ceux qu’ils accusaient d’être des anthropomorphistes et hérétiques, les mu’tazilites n’auront de cesse durant les quelques années où ils bénéficièrent du soutien étatique de s’en prendre aux savants les plus intègres. Ahmed ibn abu Duad, juge mu’tazilite le plus fameux, se montrera ainsi impitoyable sous le règne d’al Mutasim, successeur d’al Ma’mun.
C’est surtout sous le califat d’al Wathiq que la traque se fera la plus violente. En poste de 227H à 232H (842-847), al Wathiq ira jusqu’à interroger des musulmans faits prisonniers par les Byzantins afin de connaître leurs vues sur la création ou l’incréation du Coran. Ceci afin de décider ou non du versement de la rançon censée les libérer. Interrogeant le savant Ahmad ibn Nasr al Khuzai ainsi que ses compagnons qui se refusaient à adhérer à la doctrine des inquisiteurs, les chroniques racontent qu’il exécutera l’imam en question de ses propres mains, ceci en lui plongeant son sabre dans le ventre. Puis décapité, publiquement crucifié, ses compagnons et d’autres furent jetés en prison, interdits de visites et privés des rations alimentaires habituelles.
Mais la Mihna manqua totalement son but. Sa violence ne faisant que souder davantage les rangs des savants issus du sunnisme classique, les adeptes du mu’tazilisme vont peu à peu se retrouver sans plus d’appuis. La population, jusque-là loin des débats théologiques et philosophiques en cours, va aussi voir en le mu’tazilisme la doctrine de leurs oppresseurs. La colère dans la capitale du califat ne faisait que gronder contre eux.
L’inquisition concernée prenant fin lors du règne d’al Mutawakil en 233H (848), le mu’tazilisme s’éteindra presque tout autant. Devenu formellement interdit, ses adeptes verront la machine leur revenir en plein visage : les uns et les autres seront placés en prison ou exécutés à leur tour, les plus chanceux destitués de leurs fonctions. L’imam Ahmed pu reprendre là ses classes et permettre à la diffusions de ses idées sans plus d’entraves.
L’un des pères de l’orientalisme scientifique européen, l’hongrois Ignac Goldziher disait au sujet du mu’tazilisme : « (c’est) une chance pour l’islam que la protection du souverain se soit limitée à 3 califes. Jusqu’où les mu’tazilites seraient-ils allés s’ils avaient pu mettre plus longtemps les instruments du pouvoir au service de leur foi intellectuelle! » (1)
(1) Ignac Goldziher, cité dans « Pourquoi je ne suis pas musulman », d’ibn Warraq, Éditons L’âge d’homme, 1999, Lausanne, p.304