Chroniques

Zaynab Al-Ghazali, l’histoire d’une femme d’exception (1)

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Zaynab al-Ghazâlî (1917-2005) est une femme musulmane militante du milieu du siècle dernier. C’est la prédicatrice la plus célèbre du monde musulman. Sous le règne du nationaliste Nasser, elle passa six années derrière les barreaux pendant lesquelles, elle subit toute sorte de torture, de menace et d’humiliation. Seulement parce qu’elle militait pour défendre la religion. Elle a rassemblé ses mémoires notamment les années passées en prison, dans un livre autobiographique intitulé «Des jours de ma vie». Que Dieu accorde Sa Miséricorde à cette femme héroïne qui a dédié sa vie à la lutte pour l’Islam.

Nous mettrons à disposition du lecteur, en plusieurs parties, quelques extraits de ce livre (photo : à gauche Zaynab Al-Ghazali et au centre Hamida Qotb lors de leur procès en 1965)…

Chapitre : et mon tour arriva

A l’aube du vendredi 20 août, les hommes du despote forcèrent ma porte et envahirent ma maison. Lorsque je leur demandai de montrer leur mandat de perquisition, ils me répondirent : «Un mandat ! Quel mandat ? Mais êtes-vous folle ? Nous sommes sous le règne de Nasser et nous avons le droit de vous traiter comme nous voulons, espèce de chienne…».

Ensuite, ils se mirent à rire d’une façon hystérique en disant : «Les Frères Musulmans sont fous, ils exigent un mandat de perquisition sous le règne de Nasser !», puis ils entrèrent dans la maison et se mirent à tout casser, rien ne fut épargné. Je les fixais avec mépris en les regardant en train de détruire les meubles de la maison. Enfin, ils arrêtèrent mon neveu Muhammad Muhammad al-Ghazâlî, alors étudiant à l’école normale, et qui vivait chez moi comme mon fils, et ils me dirent : «Ne quittez pas la maison». J’ai dit : «Est-ce que cela voudrait dire que je suis placée en résidence surveillée». Ils répondirent : «Oui, jusqu’à nouvel ordre, et sachez que la maison est surveillée, si vous bougez, vous serez arrêté».

J’ai cru que les choses allaient en rester là, puis, ma sœur, ses enfants et son époux me rendirent visite alors que j’étais en train de faire ma valise dans l’attente de mon arrestation. J’ai prié alors le mari de ma sœur de quitter la maison afin qu’il ne soit pas arrêté, comme ce fut le cas pour mon neveu. Mais ce fut en vain, car il refusa de partir en dépit de mes appels répétés et de mon insistance sur le fait que les temps n’étaient pas à la complaisance.

Alors qu’on était en train de déjeuner, les hommes de main de Nasser envahirent la maison, prirent tout ce qu’il y avait dans le coffre et emmenèrent avec eux plus de la moitié des affaires que j’avais dans mon bureau. Mes tentatives pour sauver quelques œuvres de philologie, de théologie et d’histoire ne furent guère couronnées de succès. Ce fut également le cas pour trois éditions de la revue des Femmes Musulmanes, interdite de publication par décret militaire en 1958.

Ils confisquèrent tout ce qu’ils voulaient, et le coffre eut à cette époque une histoire étrange. Il appartenait en effet à mon mari, même si j’avais pris l’habitude d’y déposer mes affaires. Lorsqu’ils me demandèrent de leur ouvrir, j’ai prétendu que la clé était avec mon mari alors en déplacement. Ils appelèrent l’in des leur et lui donnèrent l’ordre de forcer la serrure du coffre. La personne en question s’avança et ouvrit la porte du coffre à l’aide de quelques outils.

Quand je leur demandai de me laisser un reçu des affaires et objets confisqués, ils me répondirent sur un tom ironique : «Mais vous êtes folle ou quoi, vous pensez être maline, fermez-la et ne faites pas de difficultés».

Ils m’arrêtèrent et me firent monter dans une voiture où je trouvai mon neveu arrêté à l’aube même avec un de nos jeunes militants. Je demandai à mon neveu : «Mais qu’est ce qu’il y a Muhammad ?». Mais mon neveu ne broncha pas, je compris qu’il avait reçu des instructions dans ce sens. Ils l’avaient ramené avec eux pour leur montrer le chemin car, entre temps, ils avaient changé d’équipe».

La voiture se mit à rouler jusqu’à ce qu’on arrive à la prison militaire. Je l’ai su à cause du portail horrible de la prison qui s’ouvrit pour laisser entrer la voiture. Ensuite, on me fit descendre et un homme affreux m’emmena dans un bureau où s’y trouvait un autre qui lui ressemblait étrangement. On me conduisit ensuite dans une autre chambre où il y avait un homme corpulent, laid et grossier, qui demanda mon identité à celui qui me tenait par le bras. Il lui dit mon nom sur un ton vulgaire. Malgré cela, il tint à me poser lui-même la question en me demandant : «Qui es-tu ?».

J’ai dit : «Zaynab al-Ghazâlî al-Jabîlî». Il se mit alors à déverser sur moi ses grossièretés et ses injures. Celui qui me tenait par le bras me cria dans le visage : «C’est monsieur ? Ô fille, vas-y répond à ses questions». L’autre avait en effet cessé de m’injurier.

J’ai dit : «On m’a arrêtée et l’on a confisqué mes livres et tout ce qu’il y avait dans mon coffre. Je vous prie de bien vouloir répertorier mes affaires dans un registre pour que je puisse les récupérer après». Le prétendu chef qui apparut plus tard était Chams Badran en personne et il me répondit avec arrogance : «Ô fille… on va te massacrer dans une heure au plus tard, alors de quels livres et de quels objets me parles-tu ? Tu seras exécutée dans peu de temps, alors de quels livres et de quels livres et de quel coffre parles-tu ? On va t’enterrer comme on a enterré des centaines comme vous ici dans cette prison militaire, espèce de chienne !».

Je n’ai pas pu répondre, tellement ses propos et ses injures dépassaient l’entendement. Celui qui me tenait par le bras dit : «Emmenez-la !»… L’autre lui di : «Où ça ?». Il répondit : «Ils le savent bien !». Il me tira violemment dans sa direction en m’adressant les pires injures… Arrivés devant la porte, le personnage laid et corpulent l’appela ; je me suis retourné et j’ai vu comme une fumée noire et épaisse. J’ai dû alors psalmodier les noms de Dieu en le priant de bien vouloir m’apaiser l’âme et l’esprit devant l’épreuve qui m’attendait. Celui qui me tenait par le bras répondit : «Oui seigneur !». Il lui dit : «Alors emmenez-la au numéro 24 et ramenez-la ensuite».

On m’emmena dans la chambre 24, deux hommes s’y trouvaient, ils étaient assis autour d’un bureau et l’un d’entre eux tenait un calepin que j’ai reconnu immédiatement comme étant le calepin du frère Abdul Fattâh Ismaël. Il avait en effet l’habitude de le sortir, lors de nos cercles coraniques pour y noter quelques frères réunis chez lui. J’ai eu alors la chair de poule et eu peur que les deux hommes puissent le remarquer. L’appel à la prière d’El Asr me transperça l’oreille, mon malaise passa par la grâce de Dieu. J’avais à peine accompli ma prière que j’entendis l’ordre : «Emmenez-la au numéro 24».

Chapitre : Le chemin jusqu’à la chambre numéro 24

Mon gardien me fit sortir en me tenant par le bras et nous avançâmes accompagnés de deux autres vigiles armés de fouets. Ils m’emmenèrent à travers des lieux différents en prison exprès pour me faire entrevoir les sévices que mes Frères Musulmans étaient en train de subir…

Je vis des frères accrochés à des plançons suspendus en l’air en train de saigner leur chair dénudée. D’autres étaient livrés à des chiens dressés pour les achever après le fouet. D’autres attendaient les yeux bandés leur tour pour subir le supplice. Je connaissais nombre de ces jeunes pieux qui étaient pour moi autant de frères, de fils et d’amis. J’en ai reconnu plusieurs et j’ai vu des merveilles. J’ai vu ces hommes uniques en leur genre que l’islam avait honoré davantage et gratifié de son auréole auprès du Tout-Puissant, que son nom soit exalté. Des jeunes musulmans ici et là et des vieillards crucifiés, fouettés, saignés et torturés affreusement et sans pitié. Mais dans tous les visages, on voyait la lumière de Dieu jaillir avec force, la lumière de ceux qui ne vénèrent qu’un seul Dieu et ne reconnaissent qu’une divinité, celle de Dieu.

Un jeune, crucifié sur une planche, me cria quand il me vit : «Que Dieu te fasse plus résolue et plus déterminée mère !». J’ai dit : «La lumière a envahi cet endroit, ce qui fait briller le sang coulé, Ô mes fils, c’est une allégeance, alors tenez bon… Ô famille de Yasser, votre rendez-vous est au paradis».

Sur ce, l’homme qui me tenait par le bras leva la main et me donna une gifle sur mon visage et mon oreille. Mes yeux se mirent à tournoyer et mes oreilles aussi. On aurait dit qu’un fort courant électrique m’avait traversé le corps de bas en haut. Lorsque j’ai rouvert les yeux, il n’y avait que des corps saignants, des membres déchiquetés et du sang partout, j’ai dit : «Pour l’amour de Dieu», et j’ai entendu une voix qui semblait venir du paradis dire : «Ô Dieu, veuille bien renforcer leur détermination. Ô Dieu, veuille bien les protéger des maléfiques et des impies. Sans votre aide, Dieu, jamais nous n’aurions reconnu le droit chemin, jamais nous n’aurions fait l’aumône, jamais nous n’aurions prié, alors aide-nous à rester déterminés».

Quoique le son des fouets ait été fort, la force de la foi en Dieu était plus puissante. Un instant, et on entendit une autre voix, on aurait dit qu’elle venait du ciel. Elle disait : «Il n’y a de divinité que Dieu qui est l’Unique, Il n’a pas d’associé».

J’ai dit : «Patience mes enfants, c’est une allégeance, patience, votre rendez-vous est au paradis».

Et de nouveau, la main de l’homme qui me tenait par le bras s’abattit sur moi. Ce fut très douloureux et j’ai dit : «Dieu est grand, que Dieu soit loué, Dieu aide nous à avoir patience, que Dieu soit loué pour nous avoir gratifié de la faveur de l’Islam, de la foi et du combat pour sa gloire». Puis la porte d’une chambre sombre et obscure s’ouvrit, et on me jeta dedans, on m’enferma et on m’abandonna.

Chapitre : Dans la chambre 24

Après m’être installée dans la chambre 24, j’ai dit : «Au nom de Dieu, que la paix soi sur vous». La porte se referma, et une lumière aveuglante jaillit, c’était pour me torturer. La chambre était pleine de chiens, beaucoup de chiens que je ne pouvais dénombrer. J’ai fermé les yeux et mis mes mains sur la poitrine par crainte. J’entendis la porte de la cellule se refermer sur moi avec les chiens, et d’un seul coup et ensemble ceux-ci me sautèrent dessus et je sentis toutes les parties de mon corps, ma tête, mes mains, ma poitrine, mon dos, entre les dents de chiens, dressés pour dévorer de la chair humaine.

J’ai rouvert les yeux, et l’horreur de ce que j’ai aperçu me les a fait immédiatement refermer. J’ai mis ma main sous mon aisselle et j’ai commencé à psalmodier les noms de Dieu, passant ainsi d’un nom à un autre jusqu’à la fin. Les chiens continuaient de s’accrocher à mon corps et à enfoncer leurs dents dans mon cuir chevelu, dans mon épaule, dans mon dos, dans ma poitrine et dans tout mon corps. Je me suis mise à prier Dieu en disant : «Dieu faites en sorte que je ne me préoccupe que de vous ; occupez-vous de moi, Ô mon Dieu, l’Unique, le Tout-Puissant, élevez-moi du monde de la matière, faites pénétrer en moi le martyr pour votre gloire, la paix et l’agrément de votre destin, renforcez notre détermination et notre résolution Ô Dieu».

Tout cela, je le disais dans mon intimité car les chiens continuaient d’enfoncer leurs dents dans ma chair. Après de longues heures, la porte s’ouvrit et on me fit sortir de la cellule de supplice. J’imaginais que mes habits étaient trempés de sang. C’est ainsi que je me sentais et j’imaginais que les chiens avaient procédé. Mais à mon grand étonnement, mes habits étaient intacts, on n’y remarquait aucune tâche de sang comme si les chiens en question n’avaient pas de dents.

Mon Dieu, que votre nom soit exalté, je vous sens avec moi, Ô mon Dieu, est-ce que je mérite vraiment votre faveur et votre agrément ? Louange à votre nom, Dieu, tout cela, je le disais dans mon intimité, car l’homme affreux continuait de me tenir le bras et me demandait comment il se faisait que les chiens ne m’avaient pas dévorée. Il tenait dans sa main un fouet et était accompagné d’un autre bourreau qui tenait lui aussi un fouet dans la main. La trace du crépuscule s’apprêtait à disparaître et le temps indiquait que la prière d’al-‘ichâ ne devait pas tarder à arriver. J’avais donc passé plus de trois heures à me débattre toute seule avec les maudits chiens.

Ils m’emmenèrent par un chemin très long, très très long, trop long même, une porte s’ouvrit, et la grande cour effrayante m’absorba. Puis ce fut un autre long couloir effrayant avec des portes sur les deux côtés. Une des ces portes était à moitié ouverte, c’est ainsi que j’ai pu entrevoir là-bas un visage illuminant, une lueur s’est dégagée de cette porte et illumina un couloir sombre. J’ai su après que c’était la porte de la cellule numéro 2 qui précédait la mienne (la cellule numéro 3) et qui était occupé par l’officier supérieur Muhammad Rachad Mehanna qui fut un moment régent de l’Egypte et qui, comme le pensaient certains esprits mal tournés, allaient être proclamé Président de la République par les Frères Musulmans. C’est ainsi qu’on décida de l’arrêter sans qu’un délit quelconque lui fut reproché.

Prochain chapitre : Dans la cellule numéro 23

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