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Roubaix : la mosquée Da’wa fermée par arrêté municipal
Un arrêté municipal va imposer la fermeture de la mosquée Da’wa, située dans le quartier de l’Alma, où prient chaque vendredi 600 à 800fidèles. Un contrôle a révélé que le lieu de culte n’était pas aux normes de sécurité. Plusieurs centaines de fidèles vont se retrouver subitement sans lieu de prière.
« Ce n’est pas une décision qu’on prend de gaieté de cœur. Mais notre devoir est de mettre tout le monde en sécurité. » Max-André Pick, le premier adjoint au maire de Roubaix, marche sur des œufs car il sait que la décision de fermer un lieu de culte musulman est très sensible dans la ville aux six mosquées.
Mais la mosquée Da’wa vient d’être épinglée par la commission communale de sécurité, qui contrôle les immeubles recevant du public. Le bâtiment de la rue Archimède en reçoit beaucoup : entre 600 et 800fidèles y affluent chaque vendredi. Et entre vingt et quarante y accomplissent chaque jour leurs cinq prières.
Pas d’issue de secours et installation électrique défectueuse
Or le rapport établi par la commission est accablant : elle donne un avis « très défavorable » à la poursuite des activités publiques dans l’immeuble. Lors de son passage, il y a un mois, la commission a noté deux carences de taille : il n’y a pas d’issue de secours autre que la porte d’entrée du bâtiment et l’installation électrique n’est pas aux normes. Des défauts plus bénins ont été également relevés, tels que l’absence d’extincteurs ou la présence de bouteilles de gaz entreposées dans une pièce.
« Dans ces conditions, on n’a pas d’autre choix que de fermer. Ce bâtiment est dangereux. S’il y avait un incendie ou une bousculade, en l’absence d’issue de secours, ça pourrait très vite tourner au drame », estime Max-André Pick. Le premier adjoint sait que cette décision va « mettre dans un embarras considérable » les fidèles de la mosquée Da’wa, mais il juge que la mairie ne peut pas fermer les yeux.
L’arrêté municipal, que l’élu doit signer dans les jours qui viennent, sera à effet immédiat et devra être appliqué jusqu’à ce que la mosquée Da’wa soit remise aux normes. Ce qui devrait être long, voire impossible. Si Max-André Pick reconnaît que l’association cultuelle est animée « par des gens sérieux, qui font au mieux en fonction de leurs moyens », il constate que ces derniers n’ont « aucune solution à proposer concernant l’issue de secours ».
Il n’y a apparemment pas non plus de solution miracle pour reloger à court terme ces 600 à 800fidèles, même si la mairie et la mosquée sont sur plusieurs pistes. En attendant, c’est toute une communauté religieuse qui se retrouve tout à coup sans toit.
La mosquée Da’wa mérite-t-elle son image sulfureuse?
C’est un peu comme le sparadrap dont n’arrive pas à se débarrasser le capitaine Haddock. La mosquée Da’wa, fondée en 1985, souffre depuis des années d’une image sulfureuse qui lui colle à la peau. Mais est-elle encore justifiée ? En 1992, des responsables du Front islamique du salut (FIS) avaient été hébergés dans les locaux de Da’wa, lors d’un passage controversé à Roubaix. L’année suivante, les dirigeants de la mosquée avaient été accusés de racketter les commerçants des environs. Puis en 1994, une jeune fille de 19ans était décédée des suites d’une séance d’exorcisme pratiquée par l’imam Mohamed Kerzazi et le président de l’association cultuelle, Morad Selmane. Les deux responsables ont été condamnés aux Assises respectivement à sept et quatre ans de prison. Pour couronner le tout, la mosquée Da’wa a aussi été liée au gang de Roubaix puisque l’un de ses chefs, Lionel Dumont, s’est radicalisé autour de ce lieu de culte.
« Ce passé est derrière nous »
Suffisant pour la dépeindre ad vitam aeternam comme un repaire de fondamentalistes ? Peut-être pas. Même si cette mosquée a toujours la réputation de proposer une spiritualité rigoriste, Omar Beghmam, qui préside l’association cultuelle depuis 2007, estime que les choses ont changé : « Nous sommes rattachés à la mosquée de Paris depuis 2007. On a beaucoup travaillé à pacifier les choses ces dix dernières années et aujourd’hui, je dirais que ce passé est derrière nous, qu’il ne correspond plus à la réalité. »
Si la mosquée Da’wa a refusé au départ de rejoindre le collectif des institutions musulmanes de Roubaix (CIMR), qui regroupe les cinq autres mosquées de Roubaix (Sunna, mosquée turque Eyup-Sultan, Abou Bakr, Bilal, Al Rahma), elle n’exclut plus de le rejoindre et des rencontres sont programmées en ce sens. Ce qui achèverait la normalisation publique de ce lieu de culte.
Pour Pierre Dubois, ancien maire PS: «C’était devenu inéluctable»
Les défauts de sécurité mis en lumière à la mosquée Da’wa ne sont pas nouveaux : « On hérite d’une situation qui existe depuis très longtemps », souffle Max-André Pick. L’ancien maire socialiste Pierre Dubois ne veut « pas de polémique » sur ce sujet. Il reconnaît que le problème existe depuis des années et ne contestera pas la décision municipale. « On avait évoqué plusieurs fois l’inadéquation des locaux avec les dirigeants de l’association », raconte-t-il. Selon lui, l’association cultuelle avait un temps envisagé d’étendre la mosquée aux deux maisons mitoyennes et de racheter un terrain voisin pour y bâtir un parking, mais ces deux projets avaient avorté.
Reste la solution du déménagement qui, d’après Pierre Dubois, « était devenue inéluctable, comme cela avait été le cas pour la mosquée Abou Bakr (mosquée du Pile, NDLR) ». Une solution qui ne pourra qu’éprouver la patience des musulmans. L’expérience montre, à Roubaix comme ailleurs, que l’implantation d’une mosquée ne se fait pas en un claquement de doigts. « Ça prendra en effet des mois, voire des années », prédit Pierre Dubois.
«On ne peut pas fermer la mosquée du jour au lendemain!»
Quatre questions à Omar Beghmam, président de l’association cultuelle de la mosquée Da’wa.
Comment réagissez-vous à l’annonce de la fermeture de votre mosquée ?
« On a eu une réunion avec la mairie, on n’a jamais parlé de fermeture. J’avais retenu qu’on devrait trouver une solution pour la prière du vendredi mais que les autres jours, on pourrait continuer à prier rue Archimède. On s’est engagé à faire des travaux de remise aux normes du rez-de-chaussée, qu’on a évalués à deux ou trois mois. »
Max-André Pick dit qu’on ne peut pas nuancer entre le vendredi et les autres jours, que la fermeture ne peut qu’être totale.
« Ce n’est pas ce qui nous a été dit ! On ne peut pas fermer une mosquée du jour au lendemain. Jusqu’à présent les élus fermaient les yeux. Pourquoi faudrait-il être rigoureux tout d’un coup, avec nous et pas avec les autres ? À Roubaix, il y a des tas de bâtiments qui ne sont pas aux normes. Y compris des bâtiments de la mairie ! Pour les Roms, on trouve très facilement des lieux d’implantation. Pourquoi pas pour des Roubaisiens ? »
À court terme, où vos fidèles vont-ils prier ?
« On ne peut pas se reporter sur les autres mosquées ! La Sunna, qui est voisine, est pleine. On ne peut pas prier dans la rue ! On a envisagé des solutions avec la mairie : ils nous proposent une salle des fêtes, et nous, on a suggéré une salle de sport, rue de France. On va voir ce qu’on va pouvoir faire. Mais j’estime que le rôle des élus est de nous aider à trouver des solutions. »
Et à long terme, vous devrez de toute façon envisager un déménagement ?
« Oui, c’est prévu. Pierre Dubois nous avait parlé d’un terrain de 5 000 m² sur la zone de l’Union. Pendant la campagne, Guillaume Delbar s’était aligné sur cette promesse. Mais le coût est très élevé, il faut voir si on a les moyens ou pas. Ce que je regrette, c’est que les élus nous promettent des choses quand ils ont besoin de nos voix, et ensuite, il n’y a plus personne. Cela fait depuis le mois de juin qu’on cherche à rencontrer le maire. Nous sommes très déçus. »
Source : lavoixdunord.fr