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Les origines turco-laïques séculaires du calcul atronomique pour le mois de Ramadan

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Chaque année, à l’approche du mois de Ramadan, nous avons droit au débat sur le calcul astronomique pour déterminer le début du mois de jeûne, et de la fête de l’Aïd El-Fitr. Des débats interminables sur les réseaux sur fond de guéguerre des institutions musulmanes françaises, où les poulains de chaque côté usent d’arguments pour rameuter les fidèles à leur cause. L’idée, n’est pas encore de refaire un énième débat, mais de comprendre d’où vient l’origine du calcul astronomique.

Pour cela, je vous propose un extrait du livre “Le mois le plus long. Ramadan à Istanbul”, de François Georgeon, chercheur au CNRS, spécialiste de l’histoire ottomane. À chacun maintenant de se faire son propre avis !

[De fait, les ruptures avec la tradition ottomane ne vont pas tarder. La première survient en 1926. Il s’agit de fixer d’une manière scientifique les dates du ramadan et du bayram (Aïd El-Fitr). Dès le début de la République, la méthode traditionnelle – l’observation à l’œil nu de l’apparition du croissant de lune, confirmée par deux témoins, est l’objet de vives critiques ; des voix s’élèvent pour demander le recours au calcul astronomique. « Nous sommes dans la civilisation du XXe siècle, écrit le Vakit en 1924, cela implique que nous profitions des méthodes scientifiques.» L’année suivante, à la fin du ramadan, l’observation du croissant entraîne une grande confusion à Istanbul : en provenance de la petite ville de Dinar, dans l’Ouest anatolien, un télégramme annonce la fin de ramadan pour le jeudi 23 avril ; des fidèles commencent alors à rompre le jeûne et à échanger les félicitations d’usage, lorsque survient quelques heures plus tard un autre télégramme, d’Ankara celui-ci, annonçant que le bayram débuterait le lendemain, le vendredi 24 avril.

Dans le Cumhuriyet, l’éditiorialiste Yunus Nadi [abalioglu] fulmine : l’affaire ne serait pas grave, dit-il, si le ramadan n’était qu’un rite religieux ; mais il concerne aussi l’Etat et la société. Et tout à fait dans la veine positiviste et rationaliste des élites républicaines, il ajoute : «Entre la tradition (nakl) et la raison (akl), il faut choisir la raison.» Il est clair que la tradition qui faisait dépendre le calendrier religieux des caprices de la météorologie n’est plus de mise dans une République vouant un culte à la raison et à la science. Le 26 décembre 1925, l’Assemblée d’Ankara vote une loi qui impose au pays le calendrier grégorien – appelé « international » dans le texte – ainsi que l’abandon du décompte des heures à la turque au profit des heures à la franque. Dans son article 3, cette loi indique que désormais l’Observatoire déterminera le début des mois lunaires. En conséquence, quelques mois plus tard se produit une petite révolution : alors que le reste du monde musulman continue à s’en tenir à la traditionnelle observation du croissant de lune, en Turquie les dates du ramadan et du bayram de 1926 sont déterminées par calcul astronomique par l’Observatoire d’Istanbul à Kandilli : celui-ci les communique à la Direction des affaires religieuses, laquelle prévient le mufti d’Istanbul pour qu’il en fasse l’annonce par l’intermédiaire des prédicateurs et par voie de presse. Désormais, grâce à la méthode scientifque, il n’y a plus de « jour douteux” (yevm-i şekk), ce jour suivant le 29 Şaban, dont on ne savait pas à l’avance s’il allait être le 30 du même mois ou le 1er ramdan, selon que le croissant de lune sera visible ou non. La presse d’Istanbul, unanime, – les organes religieux ont disparu en 1925, à la suite de la loi sur le maintien de l’ordre (takrir-i sükûn) – applaudit à ce changement : « Dieu soit loué, écrit le Cumhuriyet, voici [enfin] un ramadan qui ne tombe pas d’une manière inattendue (baskin seklinde) ! »

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