Chroniques
Des esclaves musulmans en France médiévale
Il est dans certains cercles intellectuels régulièrement fait état de toute l’importance du commerce d’esclaves dans le monde musulman d’avant. Par opposition, les européens n’auraient véritablement pris part à cette entreprise que sur la tard. Ce n’est pas tout à fait faux. Mais non plus tout à fait vrai. Les archives et travaux historiques (Charles Verlinden, François Clément) montrent, à côté du servage courant durant des siècles, que l’esclave pouvait dans les sociétés chrétiennes du Moyen Age être une figure courante. Parmi eux : de nombreux musulmans.
Au lendemain des croisades, entre les 12ème et 13ème siècles chrétiens, l’expansion des castillans et aragonais en Espagne musulmane avance, faisant peu à peu tomber toutes les terres sarrasines. Si on y récupère des bibliothèques et savoirs divers, on y gagne aussi des Hommes. Après chaque ville reprise (Valence, Tortose..) ceux n’ayant pu fuir ou mourir au combat sont alors faits captifs et mis sur le « marché ». La Catalogne et le sud de la France étant historiquement liés, les musulmans pris sont alors surtout revendus à Narbonne, Montpellier et Marseille. La plupart sont des femmes. Vendues à d’aisés chrétiens ou hommes d’Eglises, elles finissent généralement comme servantes, sans que la conversion au christianisme ne leur soit d’ailleurs imposée. Les quelques hommes devenus esclaves sont eux faits ouvriers agricoles. La Reconquista ralentissant, entre le 13ème et le 15ème siècle chrétien, la grande majorité des esclaves sont cette fois ramenés de Mer Méditerranée, alors dominée par les musulmans d’Afrique du Nord. Si ceux-ci font de nombreux esclaves, certains devenant ensuite d’influentes personnalités au Maghreb après leur conversion à l’islam ; les corsaires chrétiens ne sont pas en reste : ils prennent et revendent en Provence la plupart des hommes faits prisonniers sur leurs bateaux. Certains se convertissent, d’autres restent non, le choix leur est encore souvent laissé. Les siècles suivants, les italiens devenus maîtres en la matière font acheminer les esclaves musulmans depuis les ports de la mer Noire. Des femmes pour la plupart, ces esclaves sont cette fois le plus souvent des tartares, caucasiennes ou turcs.
Les données numériques de cette traite ne sont pas disponibles, mais les archives et registres fiscaux (la leude de Narbonne entre autre) des villes du sud de la France laissent indiquer que la chose était courante. De faible coût, parfois pas plus cher qu’une mule, le sarrasin était un bien que même un simple artisan ou paysans pouvait des fois se payer. Rarement affranchis, la condition de ces esclaves musulmans variait selon le maître en question. Les musulmanes devenues des domestiques avaient souvent à partager la couche avec leur maître, occasionnant tantôt des naissances. Faits chrétiens, les enfants naissant de ces unions n’étaient pas affranchis pour autant. Pas plus que la mère d’ailleurs. Les fuites sont courantes, les musulman(e)s tentant souvent, à défaut de pouvoir retourner en terre d’islam, de gagner Toulouse ou Pamiers, qui avait inscrit dans leur droit le fait de ne pas rendre les esclaves ayant gagnés leur sol. Les plus chanceux étaient rachetés par des alfaqueques (al fakkak), rédempteurs musulmans sillonnant le sud franc à cette époque. Pour les autres, dispersés ça et là, ils se fondent dans la masse, coupés de tout contact avec d’autres musulmans, ne laissant ainsi que peu de traces.
Il existe aussi d’étonnants récits. Il y a celui de Jordi, tartare rebaptisé s’enfuyant de chez son maître en 855 de l’hégire (1451) en Catalogne et rattrapé avant de s’évader à nouveau tentant une traversée des Pyrénées par l’Andorre. A nouveau arrêté, son maître s’apprêtant à le récupérer, il s’enfuit une nouvelle fois, allant vers Toulouse, pour être encore arrêté avant d’y arriver. Mais l’homme s’enfuit à nouveau, réussissant cette fois à atteindre Toulouse et à s’y établir. Plus étonnant encore : le récit d’Antoine, esclave noir rebaptisé aussi de Barcelone. S’évadant et atteignant Pamiers, il entre là au service d’un lieutenant local. Mais son maître retrouvant sa trace, il est à sa demande enfermé. Le lieutenant portant plainte, l’affaire arrive devant la justice. Celui-ci gagne, le droit local garantissant la sécurité des réfugiés, il fait libérer Antoine. Des années durant, les esclavagistes tenteront de le refaire enfermer, mais la ville de Pamiers va alors se porter garante de sa liberté, le faisant même « bourgeois ».
Des siècles durant, musulmans et musulmanes auront ainsi pris pied dans l’Europe médiévale et chrétienne, bien souvent au détriment de leur liberté, mais parfois la regagnant et faisant souche en Provence et ailleurs. Les interactions ayant été nombreuses, tout laisse à penser qu’un peu de sang de mahométans et sarrasins doit bien circuler dans les veines de quelques-uns…