Chroniques
Alija Izetbegovic, patron des bosniaques
Né en 1343 de l’hégire (1925) et décédé en 1424h (2003), il est encore aujourd’hui le bosniaque le plus célèbre de son histoire. Activiste, penseur puis homme d’État, il fut notamment le 1er président de la Bosnie-Herzégovine, ceci de 1410H (1990) à 1417H (1996).
Issu d’une longue lignée de beys ayant vécu sous l’Empire ottoman, Alija Izetbegovic n’est qu’étudiant quand la seconde guerre mondiale éclate et touche les Balkans. Intégrant les Mladi musulmani (Jeunes Musulmans), organisation proche du régime, il se fait un temps le soutien de ceux des siens intégrant les rangs de l’Allemagne d’Adolf Hitler contre les partisans yougoslaves communistes. C’est l’époque de ces bataillons de musulmans intégrant les troupes de la Wermacht. L’affaire lui vaudra ensuite une courte incarcération de par les royalistes serbes avant de se voir gracié par ces derniers pour le rôle qu’avait eu son grand-père dans la libération d’otages serbes lors de la précédente guerre.
Diplômé en droit, il est suite à son opposition au régime du célèbre Tito déjà condamné en 1946 pour “extrémisme islamique”. Il avait tenté de former un parti politique susceptible de succéder à l’organisation musulmane yougoslave d’entre deux guerres. Libéré deux années plus tard, il rentre à nouveau en prison en 1951 et trois années durant pour “activités subversives”. Le communisme “titiste” fait alors des ravages. Des mosquées en grand nombre sont fermées, les musulmans sujets à un contrôle effréné. Mais la tendance se relâche la décennie suivante. C’est en cette période plus ouverte au fait musulman qu’il rédige puis fait publier en 1390H (1970) sa Déclaration islamique. Œuvre majeure, tant elle est unique en son genre en Europe, elle lui vaudra encore quelques mois de prison. Se définissant comme une sorte de traité général sur l’islam et ses finalités mondaines et politiques, Alija y narre ouvertement le comment et le pourquoi d’un théorique État islamique. Ode à la Loi musulmane, pamphlet contre-laïc, il est alors – bien que se gardant de chercher à vouloir imposer quoique ce soit à la Bosnie – soupçonné de vouloir imposer une théocratie musulmane en pleine Europe.
Dix ans plus tard et deux ans après la mort de Tito, il publie L’Islam entre l’Est et l’ouest. Gênant encore au plus haut point l’élite communiste, il est à nouveau pour ses vues mené devant les tribunaux avant d’être remis en prison, cette fois pour 14 années. Il est là, au lendemain de la Révolution islamique d’Iran effrayant tout un monde, accusé de “propagande hostile, activités panislamiques, liens avec l’Iran et tentative de transformer la Bosnie en un État islamique”. Entre temps, la région s’ouvre peu à peu multipartisme, le communisme s’essouffle. Sortant finalement en 1408H (1988), il fonde deux ans plus tard le Parti de l’action démocratique (Stranka demokratske akcije) souhaité être le parti des Musulmans slaves.
L’ancienne Fédération socialiste de Yougoslavie volant en éclats sous l’affirmation des nationalismes serbes et croates, de premières élections libres sont organisées en 1410H (1990). Son parti déjà majoritaire, il est élu sans difficultés comme président. Le communiste defait, il supprime dès lors les symboles commémorant les victoires des partisans antifascistes, se présentant en chef des musulmans bosniaques. Le moment est fort. La guerre arrivant en 1412H (1992) en son pays – devenu indépendant – et malgré ses efforts pour l’éviter, il devient jusqu’à sa fin le symbole même de la résistance bosniaque face à l’ultra nationalisme de ses voisins, incarné en la personne de Slobodan Milosevic. Défenseur d’une Bosnie multiethnique, il favorise dans un même temps l’affirmation d’une certaine identité musulmane, entretenant qui plus est d’étroites relations avec différents réseaux de mujahideen venant par milliers du monde entier. Au front, il fera même la rencontre d’Ousama Ben Laden, tout en commandant la résistance armée depuis Sarajevo.
Doucement soutenu par les américains et autres onusiens, il échappera à la mort, au contraire de plus de dizaines de milliers de ses coreligionnaires massacrés par les troupes nationalistes ennemies. Si son “islamisme” laissa certains dubitatifs, il inspire cependant respect et curiosité de toute parts, et ce jusqu’en France. BHL, déjà fidèle à son poste d’envoyé spécial et improvisé en temps de guerre, s’en fera même un “ami” tout désigné. Contraint de signer les accords de paix de Dayton en 1416H (1995) mettant un terme à la guerre, il termine l’année suivante son mandat, se faisant dès lors plus discret avant de complètement se retirer de la vie politique en 1421H (2000). Rendant la vie 3 ans plus tard, “l’homme au béret” restera à jamais comme l’un des derniers grands hommes d’État et penseurs musulman d’Europe.