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Quand “l’élite” française embrassait l’Islam

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Il faudrait avoir hiberné ces 15 dernières années pour ne pas s’être aperçu du nombre de visages pâles remplissant aujourd’hui les mosquées. On imagine souvent le phénomène relativement récent. Pourtant, dès le début du XIXème siècle, de nombreux français se convertirent à la “religion des arabes”, ce sans même s’en cacher, et parmi les plus hautes sphères de l’État.

En 1986, le chiffre de 200 000 conversions avait déjà été avancé. Fantasme d’alors devenu plus qu’une réalité aujourd’hui. Djelloul Seddiki, directeur de l’Institut de Théologie al Ghazali évoquait 1 million de convertis en 2013. Chiffres difficilement vérifiable, toutes statistiques ethniques-religieuses étant en France proscrites.

Des imams reçoivent de nouveaux venus chaque semaine, ceci sans compter ceux cheminant en toute discrétion dans leur coin. Si les conversions vont en croissant, les profils semblent souvent très ressemblants. Ouvriers, intérimaires, jeunes chômeurs, ce sont généralement chez ces français du peuple, proches des populations issues de l’immigration, et des couches sociales défavorisées que l’on retrouve le plus de convertis à l’islam. Il y a bien de temps à autre un scientifique ou une star de la chanson qui se laisse aller à une attestation de foi, mais le phénomène semble moins toucher les classes sociales supérieures que les plus basses. L’islam toucherait-il plus les pauvres et les oubliés? Rappelons-nous que du vivant du Prophète, paix et salut soient sur lui, son appel était souvent d’abord boudé par les notables quand il fut plus largement accepté par les plus pauvres de son peuple.

Mais c’est oublier que l’islam fut déjà, avant les vagues d’immigrations musulmanes sur le territoire français, la religion de quelques individus parfaitement de souche. Et non des moindres. Le siècle des Lumières passé, alors en pleine sécularisation, la France, partant en conquête en Egypte puis en Algérie, redécouvre un Orient et une religion qu’elle avait trop longtemps conspué. L’islam, bien qu’étant la religion des “barbares” et “sarrasins”, n’est plus, comme elle l’était pendant tout le Moyen Âge, et n’est pas encore, la bête noire des élites au pouvoir. Des gens se fascinent pour cette région du monde. Aventuriers, généraux militaires, orientalistes et missionnaires chrétiens s’y bousculent. Certains parmi eux, subjugués par la foi mahométane, devinrent ainsi musulmans.

Ils se nomment Jacques Demenou DeBoussay, René Guenon, Philippe Grenier ou Etienne Dinet. Hauts gradés de l’armée, intellectuels, hommes politiques ou peintres, tous auront à travers voyages et correspondances embrassé une religion jusque là peu connue pour ce qu’elle est vraiment. Les femmes ne sont pas en reste. On peut notamment citer Isabelle Heberardt ou Eva de Vitray.

Contrairement à l’approche plus textuelle et littéraliste diront certains, de celles et ceux rentrant dans l’islam en ces années post-2001, les individus cités plus haut eurent souvent en commun une attirance plus ou moins avérée pour le soufisme ou du moins, pour les finalités spirituelles et éthiques de la religion musulmane. Certains empruntèrent parfois des chemins très hétérodoxes, ce qui amena ainsi certains savants à même douter de la véritable entrée dans l’islam des quelques protagonistes concernés…

La foi des musulmans observés, lors de missions et voyages, tranche avec la rigueur d’une Église catholique qui lutte alors pour survivre. Nous entrons en pleine période orientaliste. L’islam fait figure à ce moment de religion très libérale, voire permissive. Si l’on ajoute à cela le charme d’un Orient encore très fantasmé, avec son soleil, ses mets épicés et ses femmes que l’on s’imagine encore nues s’entrelaçant dans de somptueux harems, l’attrait devient pour ainsi dire très grand chez de nombreux français.

L’entrée en islam est pour beaucoup une façon de totalement changer de façon d’être. Le costume est troqué contre un burnous, le chapeau par un turban, le train de vie s’arabise parfois complètement. Nombre d’entre eux finiront même par terminer leurs jours dans le pays, souvent l’Algérie ou l’Egypte, dans lequel ils connurent pour la première fois le contact avec la foi.

Quelques fois moqués, plus souvent sujets d’intrigues et de curiosités, ces convertis d’alors sont encore rarement vus comme des traitres ou de potentiels dangers pour la société française. Ils sont même parfois très respectés par leurs pairs. On se souvient de l’un d’entre eux, Philippe Grenier devenu maire de sa ville à la fin du XIXème siècle, arborant pourtant, et fièrement, le burnous algérien. Il y eut aussi le cas de Jacques Demenou De Boussay, officiant sous Napoléon et remplaçant Kleber au titre de Général de son armée ; ses cinq prières faites en direction de La Mecque ne l’empêchèrent pas de diriger d’une main de fer l’armée française en Egypte.

Sarrazins

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