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L’islamisme n’existe pas

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À bien y regarder, on ne parle finalement dans les médias que peu d’islam, en temps que terme, seul et sans préfixe ou suffixe, lorsqu’il s’agit de désigner cette menace que serait le « péril vert ». On parlera plutôt de fondamentalisme, d’extrémisme, de radicalisme ou d’islam politique. Toutes ces désignations, désignant souvent la même chose, généralement recouvertes par la désormais célèbre notion d’islamisme.

Un islamisme qui aurait donc ses islamistes et ses propres standards. Vraiment ?

Une définition originelle oubliée

Le terme est d’abord bien plus ancien que beaucoup l’imaginent. En effet, à partir du XVIIIème siècle, sous l’impulsion de Voltaire et ses compères philosophes, le terme d’islamisme va peu à peu remplacer celui de mahométisme, utilisé depuis plusieurs siècles par ceux pensant les musulmans adorer Mahomet, comme les chrétiens l’ont fait avec le Christ (christianisme). L’islamisme, couramment et sans complexe utilisé le siècle suivant pour désigner la religion des musulmans, tombera en désuétude au début du XXème siècle, avec l’usage de plus en plus attesté du terme d’islam, afin de s’aligner avec la définition qu’en donnent les premiers concernés.

Discret après la seconde guerre mondiale, il faudra attendre la révolution iranienne, en 1979, pour que l’islamisme se refasse une santé dans la bouche de nos médias et penseurs nationaux.

Une dé-sécularisation entrainant réaction

A partir des années 80, la presse et les milieux intellectuels occidentaux s’affolent. En effet, le monde musulman, que l’on pensait définitivement – bien que décolonisé – adopter la voie de la sécularisation totale, réaffirme un peu partout son désir de refaire de l’islam sa loi, sa foi et sa norme. Un désir encore minoritaire, certes, mais qui semble aller en croissant.

Un retour aux sources rencontrant alors non seulement l’hostilité des anciens colonisateurs, mais surtout des gouvernements arabes nationalistes, qui bien qu’autrefois hostiles au colonialisme, en copia les systèmes et idéologies, le déni de religion qui va avec. De la Turquie à la Tunisie, de l’Egypte à l’Algérie, il ne fait en effet pas bon se remettre à se laisser pousser barbes, porter voiles, et refaire de la mosquée son lieu de prière matinal.

Si les aspirants à un retour véritable vers la religion de leurs pères se font malgré la répression, dans les années 80, puis 90, plus nombreux, les peuples semblent encore loin de tendre vers une réunification de la Oumma sous le seul étendard de l’islam. Le nationalisme, la démocratie élective et les idéologies progressistes en tous genres ont tous fait leur bonhomme de chemin, et peu semblent y voir une réelle menace pour son identité.

Cette sécularisation par le haut, amorcée par les colons puis entretenue par les gouvernements post-libération, aura ainsi longtemps fait germer dans l’esprit des populations arabo-musulmanes, l’idée que l’islam n’est plus qu’une simple religion à pratiquer individuellement, n’ayant plus son mot à dire en matière de politique et de gestion de la cité. Une religion de « coeur », répondant aux seules aspirations spirituelles de ses fidèles, ayant majoritairement pris causes et effets pour une grille de lecture complètement dés-islamisée de leur propre religion.

Idée pourtant née en Europe et plus particulièrement en France, la séparation des Eglises et de l’Etat, va s’officialiser, dans la loi ou dans les esprits, dans la plupart des Etats à majorité musulmane. L’économie, la politique, la guerre et l’éducation à l’Etat, le culte, ses cérémonies et ses pratiques individuelles, à la Mosquée. Mosquées d’ailleurs gérées sans gêne par les dits Etats. Donc une séparation qui n’en est une que d’un côté véritablement.

Ainsi, lorsque font leur apparition des groupes et partis souhaitant réaffirmer la préséance de l’islam dans toutes les sphères, individuelles comme collectives, de la vie de la Cité, la chose paraît non seulement inconcevable pour l’Occident athée et laïque, mais aussi par quantité de musulmans vivant dans les pays en question. L’islam, ce ne serait pas ça. L’islam, ce serait bon ici, mais beaucoup moins là.

Le glissement sémantique nécessaire

Désignant à l’origine la religion musulmane dans toute sa grandeur, ses pratiques et aspirations temporelles, l’islamisme ne désigne alors après les années 80 plus qu’une doctrine politique, violente et antidémocratique partagée par ce qui seront désignés plus tard comme terroristes.

Des Frères Musulmans en Egypte au FIS en Algérie, de nombreux partis « islamistes » ont depuis fait leur apparition dans le monde musulman, avec tous la même idée en tête : réhabiliter l’islam comme norme sociale et politique. Mais les autorités se montreront implacables. Arrestations musclées, emprisonnements, exécutions, les Etats séculaires, appuyés par les américains, français et anglais, vont pouvoir sans que quiconque ne les en empêche, user de tous les moyens disponibles en vue de stopper la gangrène « islamiste ».

Réagissant tantôt avec violence, entrainant attentats, répressions et conflits entre musulmans, les dits partis « islamistes » ne vont avoir que peu de peine à convaincre le monde entier de l’extrémisme de leur voie. L’islam cherchant à politiquement se refaire une place ne devient pour l’opinion publique et mondiale plus que synonyme de violence, d’injustices et de terreur. De quoi largement appuyer l’idée que religion et politique ne font définitivement pas bon ménage.

Ainsi, cette définition réactualisée de l’islamisme ne devient pas seulement l’apanage des élites savantes de l’Occident, mais aussi, par conditionnement, celle des populations musulmanes un peu partout dans le monde. Glissement sémantique oblige, il devient urgent, notamment pour le musulman vivant en Occident, de se dédouaner de ces terminologies qui pourraient l’incriminer. Il y aurait donc l’islam, foi pratiquée par quelques rites, conditionné par quelques obligations et interdits, synonyme de paix et d’élévation de l’âme, et l’islamisme, branche politique et mortifère de l’islam, cherchant à s’imposer et imposer à tous, sa doctrine « rigoriste » et « fascisante ».

Une incrimination masquée

Après 2001, l’intensité des attaques menées contre les intérêts des occidentaux en terre musulmane et parfois ailleurs, renforcera d’autant plus l’idée que « l’islamisme », en tant que doctrine politique et soucieuse d’appliquer la chariah, est l’ennemi à abattre car indiscutablement violente dans ses moyens et finalités. Il est ainsi complètement acquis, des milieux les plus intellectualisés aux plus ignorants, que l’islam doit être absolument éloigné de tout projet politique. Sus à la politisation de l’islam! Les dictionnaires sont d’ailleurs très clairs. Voici ce qu’en dit aujourd’hui Le Larousse:

« (L’islamisme) Désigne les courants les plus radicaux de l’islam, qui veulent faire de celui-ci non plus essentiellement une religion, mais une véritable idéologie politique par l’application figée de la charia et la création d’Etats islamiques intransigeants »

Alors que la gestion de la Cité et l’application de la chariah à tous les niveaux (bien que souvent mal appliquée) furent le corolaire à tout « État islamique » durant les 13 siècles d’existence du califat, voilà que ces éléments ne deviennent plus que les stigmates d’une idéologie radicale que serait devenu l’islamisme. Que la politique s’islamise serait alors un fait nouveau, et impensable en ce nouveau décor mondialisé et sécularisé.

Sur Wikipédia, encyclopédie moderne la plus consultée, on explique ainsi que les principaux points défendus par certains islamistes sont « l’instauration de la charia (jurisprudence islamique), l’unité du monde musulman et, en particulier, le retour au califat par le mérite, ainsi que l’élimination de toute ingérence non-musulmane.”

Tout musulman au fait de sa religion aura très bien compris le vilain jeu qui se dessine ici.

Rien dans l’islam ne justifie l’élimination interne de sa législation (chariah), le refus d’une autorité temporelle globale, ou le combat armé ou/et idéologique contre les ingérences extérieures et hostiles. Non. Rien dans l’islam ne permet non plus d’abandonner la politique – comprenez la gestion de la Cité – et de tout ce qui relève du bien commun, aux seuls Hommes opérant séparation entre « profane » et religieux, afin qu’ils en fassent ce qu’ils en veulent au détriment des ordres divins (en théorie, dans un Etat musulman).

Ainsi, faire de certains points et des finalités de l’islam des éléments extra-islamiques qui relèveraient donc de l’islamisme, en vient obligatoirement à pousser les musulmans à opérer en un choix très clair. Si vous êtes pour le retour d’une autorité temporelle islamique, l’application de la législation musulmane en un lieu donné et favorable à certains combats/résistances armées (ceci même en rejetant les diverses formes de terrorisme) contre un occupant ou conquérant défini, vous êtes un islamiste, et non un musulman « normal ». Le musulman « normal », lui ne cherche qu’à se faire une place dans un monde qu’il prend en retard, soucieux du compromis opportun et baissant la tête et les armes quand on le lui demande. Vous accuser d’islamiste, avec la connotation négative qu’a pris le terme, c’est vous contraindre à finalement abandonner ce que votre accusateur ne souhaite continuer à voir en votre religion.

Et si l’islamisme n’était finalement rien de plus que le symbole de ce que l’islamophobe hait à voir en l’islam?

Islamistement musulman

Car à bien y regarder, si l’on met de côté les actes terroristes et exactions commises, effectivement, par certains au nom de l’islam, les éléments décris comme propres à « l’islamisme », ne sont la plupart du temps, que des points ne relevant de rien d’autre que de l’islam dans sa plus complète orthodoxie et tradition.

On voit d’ailleurs que l’usage du terme est en constante évolution. Ne désignant à l’origine que les combattants ou idéologues au service de la cause jihadiste, on aperçoit de plus en plus souvent, des activistes, militants, intellectuels « sulfureux » ou savants et imams aux positions contre-progressistes se voir qualifiés ainsi. Est donc aujourd’hui islamiste, dans la bouche de beaucoup, celui ou celle se refusant à l’adoption d’un certain discours plutôt qu’un autre, optant pour des positions et solutions ne cadrant pas avec l’ordre laïque ambiant. La violence n’est ainsi plus le dénominateur commun des dits « islamistes ». Qu’ont de violents ou pro-terroristes les membres du CCIF ou Tariq Ramadan? Rien. Pourtant, l’étiquette « d’islamistes », certains ne se cachent pas de le leur attribuer sans vergogne.

Si avoir vocation à faire de l’islam sa base idéologique dans son militantisme ou son action politique est alors de « l’islamisme », dans ce cas prophètes et compagnons comme les califes vertueux passés en furent aussi. Eux n’ont jamais opéré en une séparation de la politique et du religieux, ni fait du pacifisme leur sunnah, ni considérés archaïque la législation musulmane, plus à même de réglementer la seule vie privée du croyant. Il ne viendrait pourtant à l’idée de personne, de raisonné, de leur attribuer le qualificatif d’islamiste. Qu’en conclure?

Que l’islamisme n’existe pas? Surement. Ou qu’il faille en clarifier la définition? D’autant plus.

Ainsi, soyons clairs, si le terrorisme et l’usage immodéré de la violence est bien condamnable, si certaines figures du dit « islamisme » sont discutables, il convient de le répéter à qui ne le l’a pas encore compris : l’islam n’opère pas de distinction entre vie privée et publique, ni entre politique et religion (ce qui n’empêche nullement le respect du cadre légal du pays qui ne respecterait pas ces principes). Ne pas faire ces distinctions ne fait ainsi pas de vous un « islamiste », mais un simple musulman ayant compris correctement, sur ces points, les tenants et aboutissants de sa religion. L’usage immodéré et inconditionnel de la violence est une déviance, non un islamisme ou une lecture littérale de l’islam. Il y a donc l’islam, et des déviances, point.

Alors au diable cette chimère « d’islamisme ». Et paix à vous.

Article publié sur le site Sarrazins par Renaud KLINGLER

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