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ÉDITO. Nûn, de l’indignation sélective à l’hypocrisie assumée

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“Nûn”, en arabe ن, est la vingt-cinquième lettre de l’alphabet arabe. Depuis l’avancée de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, de nombreuses personnalités ont décidé de l’arborer en signe de solidarité aux minorités chrétiennes de ces régions. Un geste qui pourrait être salutaire, mais un “nûn” peut en cacher un autre…

DU ن DE SOLIDARITÉ…

Tout commence en juin dernier, avec l’avancée fulgurante du groupe armé dirigé par Al Baghdâdî. En conflit avec Jobhat-Nosra en Syrie depuis le mois d’avril, l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) se retranche dans l’Irak qui l’a vu naître et, en moins de deux semaines, sans que personne ne comprenne vraiment comment, les quelques milliers de militants de L’EIIL font fuir des divisions entières de l’armée irakienne en déroute, qui laissent derrière elles armes et équipements, de quoi armer la dite organisation. Mossoul est prise, la minorité chrétienne millénaire qui l’accompagne avec elle. C’est d’ailleurs à Mossoul que Abu Bakr Baghdâdi, dans une vidéo désormais célèbre, annonce le retour du Caliphat Islamique dans les territoires que son organisation contrôle, profitant de l’occasion pour faire savoir au monde qu’il est désormais le Calife Ibrahim.

Bien que contesté à l’unanimité dans le monde musulman, des savants saoudiens aux idéologues du Djihâd en passant par Al Qardâwî, soit les “têtes pensantes” de tous les courants de l’Islam contemporain -y compris les salafissssssssstes- pour ceux qui chercheraient encore des voix musulmanes pour condamner, la détermination d’ISIS a appliquer sa conception de l’Islam n’est en rien entamée. Aussi, ISIS estime qu’elle en droit de percevoir des citoyens chrétiens la Jizya, impôt à caractère social souvent décrié à tord comme étant un impôt discriminatoire. Ainsi, les Chrétiens de Mossoul sont sommés de se convertir, sinon de payer la Jizya, sinon de partir.

Il convient ici de distinguer ce que fait ISIS et ce que l’Islam propose. La législation islamique nous enseigne que, lorsque les conditions de sécurité sont réunies, les autorités musulmanes prélèvent un impôt sur les non-musulmans et que cet argent sert à la protection des biens et des personnes de religion autre que musulmane vivant en terre d’Islam -chose que ne peut faire ISIS. L’histoire nous apprend que lorsque les musulmans avaient autorité et qu’ils ne pouvaient garantir la sécurité à leurs concitoyens non-musulmans ils ne le prélevaient pas ou le rendaient s’il avait été prélevé.

La Jizya octroie à ceux qui la payent : l’exemption du service militaire, l’exemption du paiement de la zakat -obligatoire pour les musulmans, l’autonomie dans la gestion de leur culte, la protection militaire contre toute agression extérieure. Elle aussi et surtout pour l’autorité souveraine une preuve matérielle de l’acceptation du pouvoir musulman. A celles et ceux qui diraient qu’il s’agit là d’un procédé barbare et primitif, et qu’en Occident l’esprit civilisé (et laïc) l’aurait emporté sur la Barbarie (islamiste), il faut répondre qu’en France l’octroi à un étranger d’un titre de séjour se paie par une multitude de taxes, et que ce document est de facto une reconnaissance de la puissance souveraine de l’Etat Français. Quiconque refuse de se soumettre à la “Jizya titre de séjour” est lui aussi condamné à l’exil, cela s’appelle le raccompagnement aux frontières dans le langage administratif. Mais l’étranger peut aussi faire le choix de devenir français auquel cas il est exonéré de tout cela, et je précise que c’est plus facile de rentrer dans l’Islam que d’obtenir la nationalité, et que lorsqu’on rentre dans l’Islam il n’y a pas une enquête de 18 mois diligentée par la préfecture. Quand à l’étranger qui refuserait soit de devenir français, soit d’être normalisé et qui refuserait de quitter le territoire, il est tout bonnement combattu. Autre espace civilisationnel mais même procédé.

Dans le cas médiatisé de Mossoul, l’information qui a été relayée est que les chrétiens ont été contraints de partir de Mossoul. Ce n’est pas si simple, et les analystes qui suivent les évènements nous font parvenir un tout autre son de cloche. Dans les faits qu’ils nous rapportent, l’Etat Islamique de Baghdadi a déjà mis ce système de Jizya en application dans plusieurs villes de Syrie, dont Raqqah, épicentre du phénomène ISIS en Syrie et comprenant une forte minorité chrétienne. Celle-ci a accepté de s’acquitter de la Jizya, environ 80€ annuel selon les revenus, pour la simple et bonne raison qu’ils ne souhaitent pas un retour au pouvoir dans leur région du clan tyrannique Al Assad. Car nous le rappelons ici, le paiement de cet impôt est avant tout une reconnaissance du pouvoir en place. Le cas des chrétiens de Mossoul est différent. La région de Mossoul est instable, de ce fait, il n’est pas impossible que dans un futur proche, ISIS soit délogée de Mossoul et que le pouvoir centralisateur de Baghdad se venge, comme à son habitude, de ses soutiens -comprenez ceux qui l’ont reconnu en tant que puissance souveraine. Les chrétiens de Mossoul sont conscient de cela et ont donc négocié avec ISIS leur départ avec l’assurance de pouvoir revenir une fois la région stable. Ce pourquoi les maisons des Chrétiens ont été marqué d’un ن, comme Nasrânî -Chrétien en arabe.

Quoi qu’il en soit,en Occident, ce marquage de biens immobiliers par un signe distinctif en relation avec l’appartenance religieuse rappelle des heures sombres de l’histoire récente et fait mouche, le parallèle avec l’étoile jaune des années 1930 en Europe est rapidement fait. L’exil des quelques centaines de familles de Mossoul suffit à faire oublier le million de Chrétiens Irakiens qui a fuit le pays depuis l’invasion américaine de 2003, la toile s’empare de l’émotion. Le 20 juillet, une jeune étudiante de science-po lance la نattitude.

Diane, étudiante de 19 ans, publie un ن sur tweeter le 20 juillet

Outre le fait que la médiatisation des évènements a été parasitée par de nombreux fakes, comme l’exagération sur les exactions, l’église millénaire qui n’a jamais brûlée ou ces femmes qui n’ont jamais été vendues en esclaves pas plus qu’elles n’ont été excisées, des internautes chrétiens affichent leur solidarité avec d’autres chrétiens, tout comme les internautes musulmans affichent leur solidarité avec d’autres musulmans opprimés. Tout ce qu’il y a de plus légitime, jusque là tout va bien.

femmes-esclaves

Photo d’une procession chiite au Liban, utilisée comme “preuve” qu’ISIS vendrait des femmes-esclaves en Irak…

… AU ن DE L’HYPOCRISIE

Le phénomène est viral, et un grand nombre de twittos proches des milieux traditionalistes chrétiens brandissent un ن de soutien. Il est bien évidemment repris par la droite traditionnelle, et des politiciens se mettent à leur tour à le poster sur leurs compte officiel. Là commence la dérive, là commence l’indécence…

Ces hypocrites politiciens français qui prétendent défendre les chrétiens d'Irak 1

Ces hypocrites politiciens français qui prétendent défendre les chrétiens d'Irak 2

Ces hypocrites politiciens français qui prétendent défendre les chrétiens d'Irak 3

Ces hypocrites politiciens français qui prétendent défendre les chrétiens d'Irak 4

Ces hypocrites politiciens français qui prétendent défendre les chrétiens d'Irak 5

L’indécence n’est pas un mot assez fort pour décrire ce soutien à géométrie variable. Outre l’aspect communautariste pleinement assumé dans une République qu’eux-mêmes veulent une et indivisible et où ils n’ont eut de répit à combattre un communautarisme musulman qui n’existait pas quand ils étaient au pouvoir, le fait qu’ils sont restés silencieux toutes ces années où les Chrétiens d’Irak fuyaient par centaines de milliers le trouble et le chaos causé par l’invasion américaine de 2003 pour se réveiller dix ans plus tard est honteux, indigne de personnes payées par nos impôts pour porter nos valeurs.

De même, ces faux indignés de la situation des Chrétiens d’Orients ne parlent jamais des Chrétiens de Palestine, opprimés par leur allié idéologique, l’Etat d’Israel. Pas plus que nous ne les avons entendus pour défendre les Chrétiens de Birmanie, les Karens, opprimés dans un bain de sang par la junte birmane. Ang San SuKiy n’a eu qu’à scander “démocratie, démocratie” et, un prix Nobel plus tard, on oublia les Karens qui se cachent dans la jungle et le million de Rohingyas qui vit dans des camps de concentration. Des camps, oui, les mêmes que ceux qu’Hitler fit construire et où donnait des étoiles jaunes aux juifs. Apprenons-leur que parmi les victimes du génocide des Khmer Rouges au Cambodge, les chrétiens furent parmi les plus touchés : 48,6% de disparus dont le vicaire apostolique de Phnom Penh décédé en camp de travail.Eux n’ont pas le privilège d’être des “Chrétiens d’Orient”, ils sont d’Extrême-Orient, à quoi bon s’indigner. Et puis, là-bas il n’y a pas de pétrole à récupérer, il n’y a pas de Kurdes prêts à signer des contrats énergétiques, à quoi bon s’affairer.

Nous devons ici rappeler la pseudo-assistance humanitaire aux Chrétiens d’Irak. Notre pays, qui n’arrive même pas à intégrer ses Arabes musulmans, usant de divers formules pour ne pas avoir à dire qu’ils sont comme tout le monde, du “français issus de l’immigration” au “français d’origine nord-africaine” en passant par le “français de la diversité”, voudrait accueillir les Irakiens qu’ils n’ont pas accueillis pendant les années de Purge du règne de Bush. Et tout ce branle-bas de combat médiatique pour 34 personnes… qui seront considérés comme de vulgaires “bougnoules” une fois l’écume retombée. Quelle hypocrisie.

De même, nous devons marteler l’attitude de cette caste politique et médiatique qui, telles de jeunes vierges effarouchées s’offusquent de la décapitation d’un journaliste américain alors que les douze journalistes tués à Gaza n’ont que peu parler d’eux, idem pour les quatre journalistes tués en Ukraine. Circulez, y’a rien à voir.

Têtes d'Agourai

Agourai en 1912. L’armée française décapite des marocains et en fait des photo-souvenirs sous forme de cartes postales. Rien d’indignant apparemment

On ne parlera même pas de la devise de la France “Liberté, Egalité, Fraternité” qui, dans son acceptation, prévoit l’indignation pour tous et nous pas l’indignation à géométrie variable sur critères éthnico-religieux. Là aussi, une belle marque d’hypocrisie.

Cette indignation sélective motivée par des intérêts et des enjeux électoraux -gauche embourbée, droite éclatée qui doit récupérer son électorat dans un contexte de lepenisation de la vie politique- ou personnels -les mis de côtés qui essaient de se recycler- porte un nom : l’hypocrisie. Nous ne le répèterons jamais assez, “hypocrisie” en arabe, “nifâq” ça commence aussi par un ن.

Nûn, de l'indignation sélective à l'hypocrisie assumée

Séance “n comme nifaq” chez les indignés sélectifs

David Bizet

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